UN ACCESSOIRE DE PUERICULTURE POTENTIELLEMENT DANGEREUX ...
Résumé de thèse du Docteur Jarny, article paru dans Le Pédiatre n° 187
Certains parents pensent qu'il accélère l'acquisition de la marche (13 à 72%), d'autres le trouvent commode (9 à 34%); libérant les bras des mamans, il leur permet d'exécuter les tâches ménagères. Certains cherchent à amuser leur enfant (11 à 26%) ou encore à lui offrir une certaine liberté (2%). Enfin il parait sécurisant à de nombreux parents (33 à 66°/0).
Pourtant des études médicales ont prouvé qu'il était néfaste pour le développement locomoteur du nourrisson (27). Et de nombreuses publications médicales et/ou statistiques, dès le milieu des années 1960 (16), montrent des taux d'accidents élevés, spécifiquement dus à la pratique du trotteur. L'acquisition de la marche n'est pas accélérée par l'usage du trotteur et elle peut même être très retardée en cas d'utilisation intensive et/ou trop précoce (82). En effet il ne fait pas participer les mêmes muscles par rapport aux enfants qui ne l'utilisent pas (50), et il retarde l'acquisition du ramper en cas d'usage intensif, c'est à dire deux heures et plus quotidiennement (27). Dans une étude à Singapour, un peu plus de 10% des enfants pratiquant le trotteur présentaient un retard du développement moteur en l'absence de toute pathologie associée (92). Ces effets néfastes sont caricaturaux chez les enfants atteints de paralysie cérébrale spastique. Ainsi le réflexe primitif d'appui sur la pointe des pieds perdure, l'acquisition des réactions d'équilibre ne se fait pas, et les séquelles défavorables de cette paralysie se développent. (40).
Le risque d'accident est plus élevé chez le jeune enfant qui sait marcher. Le trotteur procure au nourrisson une certaine liberté de déplacement et des capacités qu'il acquiert généralement plus tard, au cours de son développement psychomoteur. qu'il ne peut donc maîtriser encore. Mais d'autres raisons expliquent les accidents. Le défaut de surveillance y participe, si bref soit il (répondre au téléphone, aller ouvrir à quelqu'un qui sonne à la porte...). La vitesse en trotteur, atteignant parfois 10 km/h, est impliquée dans de nombreux accidents qui se produisent en quelques secondes, souvent malgré la présence d'un adulte, qui bien qu'étant dans la même pièce, n'a pas eu le temps de réagir. Enfin la sécurisation du domicile est indispensable, surtout en présence d'escaliers (installer une barrière de sécurité!). Les accidents, qu'ils soient domestiques ou en trotteur, se produisent le plus souvent dans le salon ou la salle à manger, mais les plus graves se déroulent dans la cuisine et les escaliers (77).
Alors quels sont ces accidents? (14)
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Les chutes, tout d'abord. Elles sont fréquentes dans les escaliers et pourvoyeuses des lésions les plus graves, principalement des traumatismes crâniens et accessoirement des fractures des membres. On a recensé 4 décès par noyade suite à une chute dans une piscine ou une baignoire.
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Les renversements sont dus à l'arrêt brutal du trotteur par un obstacle. Il peut s'agir d'un tapis, du seuil de porte. dune petite marche. ou bien d'un objet laissé sur le sol...
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En percutant un petit meuble avec son trotteur, l'enfant peut faire tomber un objet qui se trouve dessus (un vase par exemple). En tirant un tiroir, une nappe, des cordons électriques (fer à repasser, théière...) ou bien en attrapant des queues de casseroles qui dépassent, l'enfant est victime de traumatismes crâniens et de brûlures.
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Pour les brûlures, trois mécanismes ont été identifiés(6).Le contact direct avec le feu (par bascule dans une cheminée à foyer ouvert), le contact avec des surfaces chaudes, parfois prolongé si l'enfant ne se déplace qu'à reculons et reste bloqué contre cette surface (porte de four, insert cheminée, radiateur, poêle...), et l'ébouillantement, qui est de loin le plus fréquent. La chute de liquide chaud entraîne des brûlures des mains et de la tête, la stagnation du liquide au fond de la nacelle, dont l'enfant ne peut se dégager seul, augmente le temps de contact et donc la profondeur des lésions.
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Les traumatismes crâniens, nous l'avons vu, résultent principalement des chutes en escaliers, des renversements du trotteur, ainsi que des chutes d'objets. Ils se produisent aussi lorsque le bébé se cogne la tête en passant sous une table. ou quand il heurte un mur ou un meuble.
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Les pincements de doigts résultent de la facilité d'accès aux tiroirs et aux portes, encore que cela soit plus ou moins facile selon la largeur du trotteur. L'enfant peut aussi se coincer les doigts dans la structure du trotteur, bien que les normes actuelles ne le permettent pas.
• Les autres accidents consistent essentiellement en des
ingestions d'objets ou de plantes, provoquant une suffocation en cas de fausse route (4 décès) et des intoxications dont le trotteur est le premier facteur associé chez les nourrissons de moins de 8 mois (35). Nous notons aussi les griffures et morsures d'animal domestique et de façon plus anecdotique un cas de fracture de fatigue bilatérale des péronés (80).
Ainsi aux USA, il y a environ . 25.000 enfants par an qui consultent aux urgences des hôpitaux suite à un accident en trotteur et le nombre d'accidents total est estimé 250.000/an (20). Ces blessures sont variées: contusions, lacérations, plaies, évulsion dentaire, épistaxis, fractures des membres, brûlures... Ce sont les traumatismes crâniens les plus fréquents, majoritairement bénins, mais parfois compliqués par un hématome sous dural, des fractures cervicales et/ou crâniennes, une hémorragie intracrânienne, et/ou rétinienne (29). Leurs séquelles potentielles sont représentées par l'épilepsie (55), les atteintes visuelles telles l'hémianopsie, l'amblyopie (53), et un cas publié de diplégie-ataxie persistante après éxérèse chirurgicale d'un hématome sous dural chronique. Pour la même tranche d'âge, les brûlures sont plus nombreuses et plus sévères chez les utilisateurs de trotteurs (15). Elles sont parfois graves et peuvent laisser des séquelles motrices du fait d'amputation, de doigts par exemple, ou de rétractions tendineuses et des séquelles esthétiques ainsi que psychiques.
Mais il ne suffit pas de répertorier ces accidents, et il est nécessaire surtout de savoir comment les prévenir. Il existe pour cela des normes de sécurité concernant te trotteur. En France c'est la norme NF S 54-008 de l'AFNOR (Association Française de NORmalisation) qui prévaut, en attendant la nouvelle norme européenne qui est en cours d'élaboration. Mais la labélisation NF résulte d'une démarche volontaire de la part du fabriquant et à ce jour aucun fabriquant de trotteur n'a fait cette démarche. Donc aucun des trotteurs estampillés "conforme à la NF S 54-008" n'a la certification "NF puériculture'"! Des contrôles d'organisations de consommateurs ont montré qu'aucune norme n'est respectée à la lettre. De plus, malgré tous les progrès techniques ingéniés à ce jour pour le trotteur, dont les derniers en date sont l'ajout de freins qui s'avèrent plus sécurisants qu'efficaces, et le limiteur de vitesse à 3.6 km/h, il existe toujours des risques non négligeables d'accidents comme le montrent les statistiques les plus récentes (36).
Le trotteur procurant à l'enfant une grande mobilité, responsable de nombreux accidents, parfois graves, une autre solution consiste à lui préférer une base statique. A ce jour il en existe deux sortes. L'une avec une nacelle pivotant à 360° au centre d'un plateau muni de jeux, l'autre avec une nacelle au dessus d'un tapis roulant, qui entretien la fausse impression auprès des parents que leur enfant pourra marcher plus tôt et avec laquelle il faudra probablement s'attendre aux mêmes conséquences sur le développement locomoteur qu'avec le trotteur en cas d'usage excessif.
Autre solution; promouvoir la sécurisation du domicile, avec tous les systèmes de sécurité existants, tels que barrière d'escaliers, portes de four isothermes, systèmes de retenue des tiroirs, etc... Puis - et là nous avons beaucoup de retard en France - faire accepter et appliquer les consignes de sécurité par les parents.
D'où l'idée de réaliser des campagnes de prévention. D'abord pour
démystifier les prétendus avantages du trotteur sur sa sécurité et sa facilitation de l'apprentissage de la marche, ensuite pour lutter contre les accidents domestiques. Mais il est nécessaire de savoir à qui l'on doit s'adresser.
Vient alors à l'esprit l'interdiction de la vente de trotteur. Cette solution semble radicale, mais est-elle vraiment efficace? Elle a de nombreux partisans. Mais d'autres préfèrent le renforcement des normes de sécurité, ou bien informer les parents et les laisser prendre leur propre décision en connaissance de cause. D'autres encore préconisent de dissuader les parents d'acheter un trotteur.
Au Canada, les industriels ont décidé de stopper leur production plutôt que de la réajuster à la nouvelle norme de sécurité, trop contraignante et pas rentable économiquement. Mais cela n'a pas entamé l'enthousiasme des parents pour le trotteur, lesquels se sont fournis sur le marché américain pour les limitrophes, ainsi que sur le marché de l'occasion et les prêts inter familiaux. De ce fait les accidents n'ont pas cessé (66)! Seul effet bénéfique; le pourcentage des parents persévérant à placer leur enfant dans un trotteur après que celui ci y ait subi un accident a fortement diminué; 62% en 1986, avant l'arrêt des ventes, et 8% ensuite. La durée de vie d'un trotteur est estimée à environ 8ans, ce qui explique aussi les effets retardés d'une cessation des ventes sur l'incidence des accidents. D'où la nécessité de mener de façon concomitante une campagne de rappel massif des trotteurs. dont on peut s'attendre, en plus, à ce qu'elle déclenche une certaine suspicion chez les parents, vis à vis du trotteur.
. En France, il n'existe aucune donnée sur l'utilisation du trotteur. Nous avons donc décidé de réaliser une étude qui nous permetterait de comparer nos résultats avec ceux de diverses études médicales menées dans d'autres pays. Nous nous sommes ainsi adressé à500 mamans habitant la ville de Lyon. et ayant un enfant âgé de 11 à 25 mois au moment de l'enquête. défini selon la méthode des quotas avec les données statistiques de l'INSEE . Ainsi nous avons défini deux niveaux scolaires et trois tranches d'âges; inférieur ou égal au bacccalauréat et supérieur au baccalauréat, pour les 20-24 ans, 25-34 ans et 35-39 ans. L'âge pris en compte étant celui de la maman à la naissance de son enfant.
En voici les résultats: (voir l'etude complete en cliquant sur le lien en bas)
Le traumatisme crânien représente la lésion la plus fréquente avec 69% des accidents, dont 11% ont conduit à une consultation médicale. Ce chiffre est minoré par le fait que cette lésion n'est comptée qu'une seule fois, même si cela s'est reproduit une fois ou plus. Le choc à la tête a pour mécanisme principal (25%) le passage sous une table (cause la plus fréquente à Lyon), suivie par la bascule du trotteur, la chute d'objet, puis la chute dans les escaliers. (Ces derniers mécanismes étant parfois combinés, il est impossible de donner un pourcentage exact pour chacun d'entre eux.) Il y a eu 15 chutes dans des escaliers. Dans 1/3 des cas il existait une barrière de sécurité, ouverte à chaque fois. Dans les deux autres tiers, cette sécurité n'existait pas et n'a été installée par la suite qu'une fois seulement. Il n'y a pas de rapport entre le nombre d'accidents graves ou ayant nécessité une consultation médicale et le nombre des enfants ayant cessé l'usage du trotteur suite à un accident. 72.4% des enfants ont continué à se servir du même trotteur. 8% des trotteurs ont été jetés, 12.6% rangés au placard et 7% ont été donnés, ou redonnés lorsqu'il s'agissait d'un prêt.
(../..). En effet, comme 52% des mamans emploient un trotteur pour leurs enfants sans en connaître le moindre risque et pire encore les 48% restant connaissent, au moins partiellement, les risques qu'encourent leurs enfants, nous sommes donc désormais fermement convaincus qu'une campagne d'information et de prévention est indispensable. Une enquête nationale permettrait de connaître plus précisémment l'ampleur de l'usage du trotteur, notamment dans les milieux semi-ruraux et ruraux où se trouvent plus d'escaliers accessibles aux jeunes enfants dans les maisons, que dans les appartements Lyonnais. La Commission européenne connaît parfaitement le problème. Elle a soutenu financièrement une grande étude qui a démontré une fois de plus la dangerosité du trotteur, et elle soutient l'élaboration d'une nouvelle norme de sécurité européenne (10, 11). Mais malgré toutes les nouvelles normes, les taux d'accidents sont toujours anormalement élevés pour un objet destiné à l'usage de très jeunes enfants. Les progrès techniques ont très largement contribué à la sécurité en général, mais pas dans ce cas précis. et on a faussement rassuré les parents, tout en mettant sur le marché des trotteurs à peine moins dangereux que les précédents. Ils sont déjà co-responsables de 34 décès depuis 1973 aux USA (87). En rendant les critères de sécurité plus draconiens encore, il faudra aussi pouvoir s'assurer qu'il seront respectés, alors même que la conformité aux normes actuelles est loin de l'être scrupuleusement (19). Cette voie semble donc être une impasse. La seule solution valable à long terme est l'interdiction de la fabrication et de la vente du trotteur, et nous devrions profiter de l'expérience des canadiens en ce sens. Il faudra prendre en compte les réticences de la population et des fabricants ainsi que du parc des trotteurs de seconde main qui, à Lyon, représente près de la moitié (47%) des trotteurs.
Résumé de thèse présenté par Jacques Langue.
Docteur Christophe Jarny
2, quai Joseph Gillet 69004 Lyon
article integral:
http://www.afpa.org/actu/visu.php?num=91&cat=3